L'étiquetage des produits des territoires, une crise ouverte entre Israël et l'Europe (article publié dans l'Almanach du KKL Strasbourg 2016-2017)

Publié le par Philippe VELILLA

L'étiquetage des produits des territoires,

une crise ouverte entre Israël et l'Europe

 

« Les marchandises produites dans les colonies de peuplement israéliennes implantées dans les territoires placés sous administration israélienne depuis juin 1967 ne peuvent pas bénéficier du régime tarifaire préférentiel prévu par l'accord d'association UE-Israël ». Ce texte est issu d’un accord bilatéral entre l’Union européenne et Israël de 2005. Mais c’est dix ans plus tard, le 11 novembre 2015, que l’Union européenne a décidé d’obliger les Etats membres à se conformer à cette décision en publiant un texte prévoyant les modalités concrètes de son application.

 

 

Israël s’y attendait depuis plusieurs mois. Mais le pire n’étant jamais sûr, l’Etat juif espérait encore que la mesure soit différée, et en fait enterrée. C’était sans compter sur la volonté de l’Union européenne de sanctionner l’absence d’avancée dans le processus de paix.

 

Mesure technique ou politique ?

L’Union européenne a donc franchi le pas : les Etats membres devront informer les consommateurs que les produits fabriqués au-delà de la Ligne verte, à Jérusalem ou sur le Golan sont issues d’une « colonie israélienne ». L’Union européenne a présenté cette initiative comme étant une simple mesure technique. A la lecture de  la « notice interprétative sur l'indication d'origine des produits des territoires occupés par Israël depuis 1967 », on pourrait le croire. Les autorités bruxelloises ont en effet pris la précaution d’encadrer assez précisément les décisions des autorités nationales des 28 Etats-membres : « En ce qui concerne les produits issus de Cisjordanie ou du  plateau du Golan qui sont originaires de colonies de peuplement, une mention limitée à «produit originaire du plateau du Golan» ou «produit originaire de Cisjordanie» ne serait pas acceptable. Bien que ces expressions désignent effectivement la zone ou le territoire au sens large dont le produit est originaire, l’omission de l’information géographique complémentaire selon laquelle le produit est issu de colonies israéliennes induirait le consommateur en erreur quant à sa véritable origine. Dans de tels cas, il est nécessaire d’ajouter, entre parenthèses, par exemple, l’expression «colonie israélienne» ou des termes équivalents. Ainsi, des expressions telles que «produit originaire du plateau du Golan (colonie israélienne)» ou «produit originaire de Cisjordanie (colonie israélienne)» pourraient être utilisées ».

 

Dans le style inimitable qui est le leur, les instances bruxelloises  ont ainsi décidé d’appliquer ce qui était inhérent à l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël de 1995 : seuls les produits fabriqués à l’intérieur des frontières internationalement reconnues d’Israël peuvent bénéficier du régime préférentiel institué pour les exportations vers l’Europe (droits de douane nuls ou minorés, abaissement ou suppression des limites quantitatives …) Ce régime encourage vivement les échanges avec l’Europe qui reste ainsi le principal partenaire commercial d’Israël, représentant près de 30 % du commerce extérieur de l’Etat juif, soit pour les exportations environ 20 milliards d’euros chaque année. Longtemps, l’Union européenne a différé l’application d’un système d’indication de l’origine qui distinguerait les produits « made in Israel » proprement dits de ceux fabriqués par des entreprises israéliennes au-delà de la ‘Ligne verte’. Les raisons de cette mansuétude étaient claires : l’accord d’association avait été signé à la suite des accords d’Oslo, et l’Union européenne attendait une évolution du statut des territoires allant vers la fin de l’occupation. Dix ans plus tard, ce n’était toujours pas le cas, d’où le texte bilatéral de 2005 rappelant que les produits des colonies devaient être exclus du bénéfice de l’accord d’association. La Cour de justice de l’Union européenne devait confirmer ce principe dans un arrêt de 2010 (affaire C-386/08, Firma Brita GmbH / Hauptzollamt Hamburg-Hafen) : la Cour déclare que les produits originaires de Cisjordanie ne relèvent pas du champ d’application territorial de l'accord CE-Israël et ne sauraient donc bénéficier du régime préférentiel instauré par celui-ci. Dès 2011, l’Union européenne envisagea de donner concrètement une traduction de ce principe en prévoyant un système d’identification spécial.

 

Une réaction outrée

La mesure aurait été différée pendant deux ans à la demande de John Kerry : le secrétaire d’Etat américain espérait relancer les négociations israélo-palestiniennes et aboutir à un accord définitif qui aurait rendu obsolète la mesure envisagée à Bruxelles. On sait que cette tentative a échoué. Logiquement, les autorités européennes ont repris l’initiative qui a abouti au texte du 11 novembre 2015. L’historique de cette mesure montre qu’il s’agit bien d’une décision politique : avec cette mesure présentée comme technique, Bruxelles entend ainsi réaffirmer son hostilité à la colonisation et faire pression sur les autorités israéliennes. Dans cette affaire, les autorités européennes n’ont pas le monopole de la dissimulation. Le gouvernement israélien a vivement réagi à l’initiative européenne : « L’Europe devrait avoir honte » a déclaré Binyamin Netanyahou, faisant allusion à la comparaison que nombre de responsables israéliens ont osé faire : cette mesure rappellerait le marquage des produits des entreprises juives sous le troisième Reich. L’exagération étant toujours mauvaise conseillère, ce type de déclarations n’a fait qu’accentuer le sentiment des Européens selon lequel le gouvernement israélien est de mauvaise foi : le président de la Commission, Jean-Claude Junker, n’est pas Adolf Hitler, et celle qui dirige sa diplomatie, Federica Mogherini, n’est pas Joachin von Ribbentrop ! Mais on peut supposer que ces outrances sont calculées, procurant deux avantages politiques importants : d’une part elles emportent la conviction de la majorité des Israéliens (et des Juifs de diaspora) selon laquelle l’antisémitisme n’est jamais absent de la politique moyen-orientale de l’Union européenne. Plus encore,  le débat de fond est ainsi évité : est-il normal d’étiqueter « made in Israel » des produits fabriqués dans des usines à Ariel, Ramallah ou Naplouse ? Sur un mode plus réaliste, les autorités israéliennes soulignent que l’indication des produits concernés conduira à supprimer des postes dans des usines qui emploient 20 000 Palestiniens. Et effectivement, cette menace n’est pas sans fondement. Ainsi, le boycott mené contre les produits Soda stream a conduit en 2015 cette entreprise à fermer son usine dans la zone industrielle de Maalé Adoumim pour en ouvrir une dans le Néguev. Paradoxalement, le gouvernement israélien souligne que les produits concernés (essentiellement des fruits et légumes et des cosmétiques) ne représentent que 1 % du total des exportations israéliennes vers l’Europe, soit environ 200 millions d’euros.

 

Des conséquences politiques

Les craintes des exportateurs israéliens sont d’une autre envergure : le marquage des produits des colonies participerait d’une dégradation de l’image d’Israël en Europe où les campagnes menées par BDS pour boycotter tous les produits israéliens et interdire tout projet de coopération connaissent un succès croissant.

Le gouvernement israélien a décidé de minorer ses relations diplomatiques avec les Européens, en refusant notamment leur participation aux discussions relatives au processus de paix … décision spectaculaire, mais sans grande conséquence, puisque le processus de paix est au point mort. Nul doute que ces relations connaîtront un climat plus serein lorsqu’Israël présentera des projets dans le cadre d’Horizon 2020, le programme de recherche scientifique de l’Union européenne auquel Israël participe comme un Etat membre, et qui lui permet de bénéficier de concours financiers d’un montant total de 1,4 milliards d’euros sur la période 2014-2020 …

Ce type de relations avec l’Europe est précisément ce qui distingue Israël des autres pays avec lesquels l’Union européenne a des divergences. Israël critique la décision européenne en soulignant que seul l’Etat juif est sanctionné, alors que 200 différends territoriaux peuvent être répertoriés. Et de donner l’exemple du Sahara occidental … exemple surfait, car la production de pêche de ce territoire n’atteint pas le niveau des exportations israéliennes incriminées, et parce que l’Etat juif dispose auprès de l’Union européenne d’un statut bien supérieur à celui du Maroc. Les partis d’opposition en Israël ont pourtant repris ce type d’arguments y ajoutant que la décision européenne renforcerait le camp des irréductibles.

En fait, les Israéliens n’ont pas beaucoup d’arguments à faire valoir, ce qui explique largement la volte-face du gouvernement allemand qui a finalement décidé de ne plus s’opposer à cet étiquetage. Désormais, seuls la Grèce (qui devrait acheter du gaz israélien) et la Hongrie (du populiste Victor Orban, très anti-européen et allié avec des antisémites) s’opposent à cette mesure.

L’application de la « notice interprétative » du 11 novembre 2015 pourrait réserver encore bien des surprises. Nul doute que chacun des Etats membres trouvera la formule qui exprimera le plus clairement possible sa position vis-à-vis de la politique d’Israël dans les territoires. Car à travers ces étiquettes, dans cette affaire où les excès priment sur la raison, c’est toute une conception de l’avenir des territoires qui est en jeu.

 

 

Philippe VELILLA

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